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Note sur les mécanismes de rapatriement des avoirs Africains illicitement volés et placés dans les banques offshores occidentales.

Mes propositions pour le Sommet Afrique-France (Montpellier, 8 octobre 2021). Cinq propositions pour l’avenir.

  1. Constats
    • L’Afrique traverse une période difficile où les échanges entre « les pays qui ont notre argent » et le Continent sont en constante diminution, et nos importations dépassent de loin nos exportations. En plus, l’aide qui nous est accordée diminue de façon exponentielle. Son volume, qui devrait être de 1% du PIB des pays riches, n’a jamais dépassé 0.7%. Actuellement, il est tombé à 0.22%. Les flux d`investissement Direct étranger (IDE) en provenance du Nord continuent aussi de chuter.
    • Par ailleurs, les mécanismes régissant les relations de partenariat Nord-Sud ne partent pas des mêmes bases. Le Nord voit cette coopération sous un angle purement politique tandis que le Sud fait prévaloir l’aspect économique. Puisque les Occidentaux aiment bien montrer qu’ils soutiennent la démocratie et la bonne gouvernance chez nous, pourquoi ne pourrions-nous pas les mettre devant leurs responsabilités en réclamant, victimes que nous sommes, les avoirs illicitement volés[1] dont la traçabilité est actuellement facilitée par les mécanismes internationaux disponibles.
    • Les capitaux fuient par divers canaux : détournement de fonds publics et de l’aide au développement, transfert clandestin des dividendes, évasion fiscale, surfacturation des produits importés, sous-évaluation des recettes d’exportation, etc. L’ampleur de l’hémorragie financière est nettement supérieure au montant de la dette extérieure de l’Afrique et de son produit intérieur brut. Tant que l’Afrique continuera à perdre un volume aussi massif de capitaux, le développement humain et la lutte contre la pauvreté resteront un leurre !
    • La restitution des avoirs illicitement acquis a été expressément inscrite dans la Convention des Nations-Unies contre la corruption. En faisant finalement de cette problématique un principe fondamental de ladite Convention, la communauté internationale a ainsi pris la mesure des conséquences néfastes pour les pays et populations, qui sont les victimes des milliards de dollars détournés chaque année par leurs dirigeants véreux. Consécutivement à la Convention des Nations Unies contre la corruption, un certain nombre d’initiatives ont été mises en place pour le recouvrement des avoirs volés.  L’International Centre for Asset Recovery (ICAR) de la Basel Institute on Governance, fondé en 2006, fait partie des initiatives actuelles en matière de recouvrement des avoirs volés. En 2007, la Banque mondiale, conjointement avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a lancé le  projet StAR en vue d’aider les pays en développement à recouvrer les avoirs volés par des dirigeants corrompus, à investir les fonds restitués dans des programmes de développement efficaces, et à combattre l’existence de refuges internationaux. Depuis 1991, suite à une décision du Conseil économique et social des Nations Unies, le détournement de fonds publics est considéré comme une violation des droits de l’homme.
    • Les Africains sont privés de leurs droits, et tels que les énonce la Charte internationale des droits de l’homme, ils sont à juste titre les victimes des pillages en règle organisés par les malfrats africains et leurs complices occidentaux. Leurs pratiques nous portent un préjudice à tous, à nos enfants, à nos mamans, aux familles pauvres qui forment le groupe de populations le plus important et le plus vulnérable du pays.
    • Presque tous les pays Occidentaux ont prévu des mécanismes pour faciliter la traçabilité et le recouvrement non seulement de l’argent spolié, mais aussi des produits (biens) du crime ; des mécanismes qu’il suffit d’actionner en cas de besoin. Il est vrai que, une fois sortis de leur pays, ces fonds sont extrêmement difficiles à récupérer, à l’instar des procédures de recouvrement en Suisse des avoirs des ex-dictateurs, Mobutu Sese Seko de l’ex-Zaïre actuellement République démocratique du Congo (RDC) ou encore de Jean-Claude Duvalier (Haïti).
    • Toutefois, il existe des exemples récents réussis de recouvrement des avoirs, notamment les fonds Abacha au Nigeria, les fonds Marcos aux Philippines, mais aussi au Kazakhstan ou en Angola. Dans chacun des cas suscités, un des trois mécanismes suivants est activé : a) le gouvernement du pays occidental agit de son propre chef, en se basant sur lois nationales et/ou les enjeux divers souvent diplomatiques et/ou politico-économiques ; b) l’Etat spolié dépose une demande d’entraide judiciaire, un processus qui est activé quand une procédure pénale pour corruption ou détournement de fonds publics s’ouvre à l’étranger. C’est surtout le cas lors d’un changement de régime car un Etat se retourne rarement contre l’un de ses propres dirigeants dont les copains sont toujours au pouvoir ; c) les fonds à disposition de dirigeants en place sont gelés dans le cadre de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
  2. Propositions
  1. Permettre à la société civile, les ONGs ou les diasporas africaines d’activer les mécanismes d’entraide pour la lutte contre la corruption et les détournements des biens et les flux illicitement volés et placés dans les banques offshores. L’activation des mécanismes de recouvrement des avoirs ne doit pas être une responsabilité exclusive des Etats occidentaux, liée à une demande d’entraide judiciaire de l’Etat spolié ou par le gel des avoirs des dirigeants en place dans le cadre de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies.
  2. Rendre effective l’application des lois sur le blanchiment et la surveillance des marchés financiers. Plusieurs ONG estiment que la surveillance des marchés financiers ne fonctionne pas dans les pays occidentaux. Il est évident que ces fonds ne deviennent pas criminels le jour où un dirigeant meurt ou chute ! La question est d’autant plus troublante que les malfaiteurs financiers africains (ou leurs intermédiaires) sont très souvent listés par les gouvernements, car connus puisque figurant sur des banques de données commerciales de clients à risques et/ou séjournant régulièrement dans ces pays. Avec une attention particulière pour ceux qu’on appelle les personnes exposées politiquement, les PEPs (les dirigeants étrangers, leurs familles et partenaires commerciaux).
  3. Revoir la modification sur les « Pays à haut risque » de la cinquième directive européenne anti-blanchiment[2] en sanctionnant les dirigeants des pays africains à partir des revendications en matière de bonne gouvernance ou de lutte contre la corruption de leurs diasporas respectives et où le taux d’émigration clandestine vers l’Occident est élevé. En effet, la version actuelle de la modification est la suivante : les banques doivent renforcer leur vigilance à l’égard des transactions financières des pays à haut risque, y compris ceux figurant sur la liste des pays hors UE dont les contrôles sont insuffisants.
  4. Imposer des conditionnalités sur l’aide publique au développement et autres prêts divers. Les prêts et aides des institutions internationales, même celles de développement, doivent être assortis des conditionnalités précises en matière de lutte contre la corruption et le rapatriement des avoirs volés dont les listes doivent être fournies par les unités d’intelligence financière des pays membres de l’OCDE avec le soutien du GAFI, du Groupe Egmont des unités d’intelligence financière, et/ou de Basel Institute on Governance. Par exemple, une des conditionnalités peut être d’exiger la réforme des unités africaines d’intelligence financière en imposant leurs indépendances et les pouvoirs de coercition sur les entités déclarantes et l’obligation de résultats par rapport aux autorités judiciaires. Une autre conditionnalité peut être l’obligation d’impliquer les diasporas africaines dans tous les projets de développement en faveur du Continent.
  5. Implémentation et Suivi des recommandations du Sommet
    Les constats et propositions faits lors de cette rencontre peuvent nous permettre de mettre en place un « modèle de suivi de la probité morale des pays de l’OCDE » par rapport au développement des pays du Continent, car ce qui est reproché à la France est sans doute, à quelques nuances près, est aussi reproché aux autres pays de l’OCDE. Le modèle sera une sorte d’evidence-based approach (domaines et indicateurs) pour le suivi des propositions faites qui serviront d’indicateurs à ce modèle.

Pour cela, il faut :

  • Une équipe multidisciplinaire pour mettre en place ce modèle ;
  • Une mobilisation de ressources financières pour le développement du modèle et son marketing ;
  • Des partenariats avec des organisations internationales (ONU, Banque mondiale, FMI, UE, etc.) pour supporter le modèle ;
  • Une rencontre annuelle avec les pays de l’OCDE pour discuter de leurs progrès ;
  • Un observatoire en ligne pour publier les résultats et les rapports d’évaluations annuelles.


[1] A titre d’illustration, les flux financiers du Cameroun entre 1970 et 2008 ont atteint 5,789 milliards de FCFA, selon une étude réalisée par le programme Global Financial Integrity (GIF) du Center for International Policy, publiée en 2010. Ces estimations ont été revues à la hausse en 2011 à 10,000 milliards de FCFA grâce aux travaux de mon frère et ami Léonce Ndikumana et de son collègue James K. Boyce, deux brillants économistes de l’University of Massachusetts Amherst, dans leur ouvrage à succès Africa’s Odious Debts: How foreign loans and capital flight bled a continent.

[2] Publiée le 19 juin 2018 au Journal officiel de l’Union Européenne (JO L156 du 19.06.2018), la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018

One reply on “Note sur les mécanismes de rapatriement des avoirs Africains illicitement volés et placés dans les banques offshores occidentales.”

Merci pour ce brillant article qui nous édifie davantage sur la problématique du rapatriement des avoirs africains illicitement volés.

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