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L’Audit du Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre la COVID-19 : quelques observations préliminaires.

La Chambre a audité au total 22 activités portant sur les 3 ministères et représentant une dépense budgétée dans le Fonds Spécial à hauteur de 99,59 milliards FCFA, mais dont la mise en œuvre a largement dépassé ces montants, puisque les paiements se sont élevés pour ces 22 activités en 2020 à 128,1 milliards FCFA et les engagements à 157,9 milliards FCFA.


A l’issue de sa délibération en Chambre du Conseil à sa séance du vendredi 04 juin 2021, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême a adopté le rapport sur l’Audit du Fonds spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales[1].

Le rapport est centré sur les activités conduites par le Ministère de la Santé Publique (MINSANTE), le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (MINRESI) et le Ministère des Finances (MINFI) pendant l’exercice 2020.

Les travaux d’audit ont été menés sous la supervision générale du Président de la Chambre qui a désigné un Coordonnateur Général, et mis sur pied six équipes de travail composées de magistrats, de greffiers et d’Assistants de Vérification dirigées par des Conseillers Maîtres. Le Cabinet d’audit BEKOLO & PARTNERS et une équipe d’experts ont été mandatés pour participer ponctuellement à quelques aspects de cet audit.

C’est dire le sérieux du travail qui a été fait pour des résultats détaillés dans cet audit.

La Chambre a audité au total 22 activités portant sur les 3 ministères et représentant une dépense budgétée dans le Fonds Spécial à hauteur de 99,59 milliards FCFA, mais dont la mise en œuvre a largement dépassé ces montants, puisque les paiements se sont élevés pour ces 22 activités en 2020 à 128,1 milliards FCFA et les engagements à 157,9 milliards FCFA.

L’on peut comprendre qu’au vu de l’urgence et de la panique liées à la prévention et la lutte contre la pandémie au Cameroun, la gestion du Fonds spécial et la mise en œuvre des activités qu’il a financées, puissent avoir quelques dysfonctionnements, surtout au début de la pandémie.

Ce qu’on comprend moins, c’est qu’à la lecture du rapport et surtout des recommandations adressées par la Chambre au Premier Ministre, Chef du Gouvernement (10), au MINSANTE (16), au MINRESI (1) et au MINFI (3), notre administration ne soit pas dotée des mécanismes et outils modernes dans la gestion des programmes et crises sanitaires de cette envergure.

On note en effet (la liste n’est pas exhaustive !) :

  1. L’absence des indicateurs de performance des programmes pour chaque administration bénéficiaire du Fonds Spécial.
  2. La non-conformité au code des marchés publics (reformé plusieurs fois les 20 dernières années pour des résultats médiocres comme je l’ai déjà montré par ailleurs !), et la non-implication réelle de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP)[2] et du Ministère des Marchés Publics (MINMAP)[3] dans la régulation des marchés publics liés à ce Fonds. En effet, la Chambre recommande ce qui suit :
    • Modifier et compléter les articles 4 et 71 du décret n° 2018/366 du 20 juin 2018 portant code des marchés publics, afin de préciser les dispositions relatives aux marchés qui ne s’appliquent pas aux marchés spéciaux.
    • Mettre un terme à l’autorisation de recours aux marchés spéciaux dans le cadre de la riposte à la pandémie.
    • Interdire strictement le paiement en numéraire des marchés publics, irrégulier au regard des dispositions du décret n° 2020/375 du 07 juillet 2020 portant Règlement Général de la Comptabilité Publique.
  3. L’absence d’un plan national de gestion des risques/incidents avec des procédures administratives, financières et opérationnelles claires et des outils technologiques pour sa mise en œuvre.
  4. L’absence d’une plateforme informatique centrale et intégrée de production et d’analyse des données statistiques sur l’évolution de cette pandémie et de celles à venir.
  5. L’absence d’une comptabilité nationale rigoureuse (automatisation de la collecte des informations comptables et financières ; réception et de comptabilisation des dons en nature et en numéraire ; etc.)
  6. Etc.

Devons-nous revenir sur notre incapacité notoire à prévenir la corruption par les marchés publics en général, et particulièrement ceux (y compris les marchés spéciaux) liés au Fonds spécial ?

Nous ne cesserons de le dire : même si au niveau mondial une grande attention a été portée ces dernières années sur la disparition des paradis fiscaux, la levée du secret bancaire dans certains pays ou la tentative dans la compréhension de l’industrie des cryptomonnaies/Blockchain qui entoure le blanchissement d’argent, c’est à l’échelle nationale que doivent être prises des actions qui prohibent la corruption dans un pays.

La prévention de la corruption dans le cadre des marchés publics parait la solution la mieux adaptée pour la lutte nationale contre la corruption. Les marchés publics représentent une activité économique fondamentale des administrations publiques qui génère d’importants flux financiers. En partie en raison de leur taille et de leur complexité, ces marchés sont l’une des activités des administrations les plus exposées au risque de corruption.

Ce qui se passe avec le Fonds spécial est certes le résultat immédiat de la méchanceté de nos compatriotes en charge de prévenir la mort des Camerounais (es) depuis le début de cette pandémie (1 770 décès sur 106 000 cas confirmés à ce jour)[4]. Le vol en bandes organisées (c’est bien de çà qu’il s’agit !) décrit dans l’Audit de la Chambre des Comptes est le résultat de cet autisme et à l’inertie de nos pouvoirs publics par rapport à la non-conformité au code des marchés publics des entités publiques.  

Dans le cadre de nos travaux dans le domaine de la prévention de la corruption par les marchés publics, nous avions proposé sans succès depuis des années un ensemble de modèles et d’outils logiciels, pour aider le pays à lutter contre ce fléau. Ces outils devraient être utilisés par l’ARMP et des instances concernées. Bien utilisés, ils nous auraient évité les nombreuses pertes humaines actuelles et auraient certainement pallié à ces nombreuses insuffisances identifiées par les magistrats de la Chambre des Comptes, en renforçant : i) la gestion des finances publiques et des crises/incidents nationaux graves ; ii) l’élaboration de notre politique socio-économique et sanitaire avec des statistiques fiables ; iii) le contrôle dans la gestion du Fonds spécial en particulier et de l’aide publique au développement en général.

En guise de conclusion : Le monde n’est pas prêt pour des crises sanitaires futures comme le déplorait Bill Gates récemment. Le Cameroun n’est pas dans cette catégorie car pire. Avec cette fascination pour les crimes, la corruption et les criminels, les Camerounais sont devenus des criminophiles.

De crises en crises !  Il fallait adjoindre le détournement du Fonds Spécial à l’embrasement des provinces du Sud-Ouest et du Nord-Ouest (NOSO) depuis 2016; les nombreux massacres, attentats et enlèvements à l’encontre de populations civiles de toute confession religieuse de Boko Haram au Nord du pays, classé comme organisation terroriste par le Conseil de sécurité des Nations unies le 22 mai 2014 ; ou l’exacerbation de féroces luttes tribales de l’heure et les replis ethniques matérialisés notamment par les groupes à caractère tribal créés par les Camerounais sur les réseaux sociaux.

Les statistiques sont terrifiantes. Human Rights Watch (HRW) rapporte qu’en date du 1er octobre 2021, quelque 4 000 personnes sont mortes dans des affrontements au NOSO. En novembre, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), plus de 700 000 Camerounais étaient déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur des régions du NOSO, en raison des violences ; 60 000 autres personnes ont cherché refuge au Nigeria voisin. Plus de 320 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de la région de l’Extrême-Nord[5].

Notre pays a déjà connu des crises similaires mais toujours gérées de façon opaque sans aucune répercussion sur les prédateurs. Depuis des décennies, nous décrions l’inadaptation des règles et procédures des organes de régulation des marchés publics (ARMP et MINMAP notamment) à ce genre de projets et surtout des fonds spéciaux (CAN, COVID-19, etc.). Nous décrions inlassablement l’inertie volontaire (on regarde sans voir), imposée (on est tenu de ne pas agir pour divers motifs et motivations), ou liée (les textes et le positionnement de la hiérarchie administrative empêche de faire quoi que ce soit). Dans son audit, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême démontre l’absence d’un système de comptabilité nationale en lieu et place d’une comptabilité quasi archaïque. Pourquoi envoyer les magistrats et les membres de la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC)[6] – dont le Chairman Dieudonné Massi Gams lui-même – en missions[7] de formation et d’information dans les pays où nos modèles et outils sont utilisés, sans pour autant mettre les connaissances acquises en pratique chez nous ? Sans peut-être mettre fin à tout le système de malversations de cette nature dans ces pays africains (à l’instar du Nigeria) et ailleurs dans le monde, nos travaux appréciés et capitalisés dans ces pays ont produit et produisent des résultats déterminants dans la lutte contre la corruption et la criminalité dans toutes ses formes.

Qu’attendons-nous pour agir dans le bon sens ?


[1] http://www.minfi.gov.cm/en/audits-report-on-the-use-of-covid-19-fund/

[2] https://www.armp.cm/creation

[3] https://minmap.cm/

[4] D’après Our World Data (https://ourworldindata.org/coronavirus-data) de l’Université d’Oxford. Les statistiques du MINSANTE (https://covid19.minsante.cm/) ne sont pas mises à jour depuis le 08/04/2021 et non pas été utilisées dans ce papier.

[5] (https://www.amnesty.org/en/location/africa/west-and-central-africa/cameroon/report-cameroon/).

[6] https://conac.cm/

[7] https://newsdiaryonline.com/cameroun-lauds-efcc-corruption-fight/

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