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La cinquième directive européenne anti-blanchiment, les implications pour la Tunisie et le rôle de la CTAF

Désormais, la CTAF a les cartes en main pour consolider ses moyens de lutte contre les crimes de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme.

Publiée le 19 juin 2018 au Journal officiel de l’Union Européenne (JO L156 du 19.06.2018), la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifie la directive (UE) 2015/849 (encore appelée quatrième directive) relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE. Cette directive définit un cadre juridique global et efficace de lutte contre la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes, en imposant aux États membres d’identifier, de comprendre et d’atténuer les risques de blanchiment de capitaux, de l’évasion fiscale et de financement du terrorisme.

C’est le résultat du plan d’actionlancé à la suite de la vague d’attentats terroristes en Europe en 2016. Son objectif est de tarir le financement de la criminalité sans créer d’obstacles au fonctionnement normal des systèmes de paiement. Elle renforce les règles existantes par l’introduction des modifications suivantes :

  • Monnaies virtuelles : toutes les plateformes d’échange de devises virtuelles et les détenteurs de portefeuilles numériques sont tenus de procéder à un contrôle préalable rigoureux de la clientèle pour contrer les risques croissants de blanchiment d’argent lorsqu’il s’agit de devises numériques. 
  • Cartes prépayées : pour réduire la criminalité financière associée aux instruments prépayés anonymes, les fournisseurs doivent procéder à une vérification plus stricte de la part des clients, qui passe de 250 euros à 150 euros. 
  • Pays à haut risque : les banques doivent renforcer leur vigilance à l’égard des transactions financières des pays à haut risque, y compris ceux figurant sur la liste des pays hors UE dont les contrôles sont insuffisants.
  • Des pouvoirs accrus pour les cellules de renseignement financier (CRFs) : elles auront accès aux informations stockées dans les banques centrales et aux registres des comptes de paiement pour améliorer l’identification des titulaires de comptes. 
  • L’accès aux registres des bénéficiaires effectifs : les registres nationaux et l’échange d’informations entre les États membres de l’UE offriront un degré de transparence plus élevé en ce qui concerne les véritables propriétaires d’entreprises.

Quelles implications pour la Tunisie ? 

Elles sont nombreuses surtout avec les nouveaux mécanismes de la Commission européenne qui permettent d’identifier les pays présentant un haut risque de carences stratégiques en matière de paradis fiscaux, de lutte contre le blanchiment de capitaux, de financement du terrorisme ou de tenue de registres.

Dans le cadre de la nouvelle directive de l’UE, les relations d’affaires ou les transactions impliquant des pays tiers à haut risque vont être limitées lorsque d’importantes lacunes sont recensées dans le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des pays tiers concernés, à moins que des mesures d’atténuation ou des contre-mesures supplémentaires adéquates ne soient appliquées. D’autres risques majeurs existent. On pourra citer,entre autres, la perte de réputation, la déconnexion du système financier international, la fuite des capitaux, l’évasion fiscale ou les désavantages au niveau du marché international.

Le gouvernement tunisien et le gouverneur de la banque centrale tunisienne, président de la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF), conscients des enjeux de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, seront amenés à privilégier trois axes d’actions. Le premier concerne le renforcement du cadre juridique et institutionnel et l’élaboration des politiques de la LBC/FT fondées sur les risques. Le deuxième axe permet d’élaborer une stratégie claire de coordination entre maillons de la chaîne de prévention et de répression y compris la coopération et l’échange d’informations entre les CRFs et les autorités compétentes du pays, dans le domaine opérationnel de la LBC/FT. Enfin, le troisième axe d’actions porte sur l’importance, en aval de la chaîne, de renforcer le volet pénal des politiques de la LBC/FT, dans le respect des prérogatives des autorités responsables au niveau national, y compris, l’amélioration des performances des officiers de police judiciaire sur les enquêtes et la traçabilité des flux financiers illicites en rapport avec le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.   

Nihil novum sub sole ! Rien de nouveau sous le soleil, me diriez-vous, puisque les mêmes recommandations sont régulièrement faites lors des travaux de la Commission technique et la plénière statutaire des institutions africaines sous-régionales du GAFI. Certes, mais l’industrie de la corruption, du blanchiment d’argent et du terrorisme est de plus en plus sophistiquée dans ses modes d’action, ses projets et son épaisseur économique. La problématique la plus importante est l’efficacité de la CTAF. En d’autres termes, comment s’assurer que la CTAF aide la Tunisie à cerner les sources, les stratégies de mobilisation, de circulation et d’utilisation des ressources par les groupes criminels divers et leurs activités ayant des répercussions en Europe ? Comment la CTAF peut-elle contribuer à traquer et rapatrier de l’argent et biens volés qui sont bloqués dans les banques offshores ?

Le rôle de la CTAF peut aider la Tunisie dans la lutte contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme (BC/FT)

Après avoir été ajoutée puis retirée de la liste des paradis fiscaux de l’Union Européenne, la Tunisie a été ajoutée en février 2018 sur la liste noire de la Commission européenne des pays exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme par l’Union Européenne. Pourtant, le Groupe d’action financière (GAFI), institution internationale en charge de l’examen et l’élaboration des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, a révisé le classement de la Tunisie, et l’a déplacée de la catégorie des « pays à haut risques et non coopératif » à la catégorie des « pays sous surveillance », une catégorie désignant les pays qui sont en train d’améliorer leur dispositif et ayant des engagements fermes, dans ce sens. Cette décision intervenait à la suite d’une demande officielle adressée au GAFI de la part de la CTAF, afin de lever cette confusion et corriger l’évaluation tunisienne, aux conséquences négatives sur l’image du pays.

Cette évolution notable a permis au pays de montrer sa détermination et sa volonté politiques à sortir de ces listes en mettant en œuvre, de manière urgente, le plan d’action développé conjointement avec le GAFI dont la première évaluation était prévue en fin de l’année dernière.

Ce plan contient, entre autres, la concrétisationpar la CTAF de la loi organique N° 2015-26 du 07 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent. Cette loi vise à prévenir et à lutter contre le terrorisme, le blanchiment d’argent et soutient également les efforts internationaux dans ce domaine, conformément aux normes internationales, et dans le cadre des conventions internationales, régionales et bilatérales ratifiées par la République tunisienne.

C’est dans ce cadre que le Gouvernement tunisien a signé le 22 juin 2018 avec l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC), un accord pour l’installation du système goAML la formation des agents y compris ceux nouvellement recrutés, et le renforcement de la coopération nationale, régionale et internationale entre la CTAF et les autorités compétentes. Logiciel utilisé par nombre de cellules de renseignement financier de par le monde, goAML fait partie de goPortfolio (unite.un.org/goportfolio), un ensemble de logiciels destinés à aider les États Membres dans leur lutte contre les crimes organisés.

La CTAFse dote ainsi des innovations technologiques qui permettront à terme aux entités assujetties soumises à l’obligation légale de déclaration de transmettre par voie électronique et de façon sécurisée des déclarations de transactions financières inhabituelles, d’opérations suspectes, de transactions en espèces ou de transferts électroniques de fonds. Les déclarations reçues et validées seront utilisées par les agents financiers de la CTAF pour les analyses structurées indispensables pour les investigations diverses et le renseignement financier.

Ainsi, la CTAF est appelée à jouer un rôle d’avant-garde, en repérant les opérations financières des réseaux terroristes, en particulier au niveau transfrontalier, et en détectant leurs bailleurs de fonds. Le renseignement financier est d’une importance capitale pour mettre à jour la facilitation d’infractions terroristes et les réseaux et les mécanismes des organisations terroristes. Dans le cadre de la loi organique suscitée, la CTAF doit avoir accès aux informations et être en mesure de les échanger sans entraves, notamment par une coopération appropriée avec les forces de l’ordre nationales, régionales et internationales. Dans tous les cas de soupçon de criminalité et, en particulier, dans les affaires de financement du terrorisme, les informations devraient circuler directement et rapidement sans retard injustifié.

Par ailleurs, le leadership du pays, à travers le rôle et les activités de la Banque Centrale de Tunisie au niveau du secrétariat permanent du Conseil des gouverneurs des banques centrales des pays du Maghreb, devrait appuyer davantage les efforts de la CTAF. Créé en novembre 2018, ce secrétariat a pour mission principale l’élaboration d’un plan d’action maghrébin commun fondé sur quatre volets majeurs à savoir les nouvelles technologies financières et la crypto-monnaie, l’inclusion financière, la finance participative en plus de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Désormais, la CTAF a les cartes en main pour consolider ses moyens de lutte contre les crimes de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme.

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